Avant tout, une mise au point. A priori, je ne vous aime pas et je me contrefous de savoir si vous m’aimez ou si vous allez apprécier ou pas ce que je vais pouvoir radoter à longueur d’article. -Laurent Sagalovitsch; You'll never hate alone
Ces paroles, que j'aurais pu faire miennes, sont celles de Laurent Sagalovitsch, écrivain français et un (très bon) tenancier de blog sur slate.fr. Si l'on s'intéresse à lui aujourd'hui, c'est que le bougre a commis, en octobre dernier, un article passionnant à propos des joueurs de poker. Extraits, et commentaires:
Les temps modernes ont accouché d’une nouvelle forme de charlots, j’ai nommé, les joueurs de poker. Professionnels, j’entends.
Il va sans dire que le véritable joueur de poker a rédigé, lors de ses années de formation, une thèse de troisième cycle sur “ Dostoïevski ou le prisme de la narration transcendantale mis à l’œuvre dans l’intertextualité structuraliste de Crime et Châtiment “, s’est encanaillé l’esprit avec la correspondance secrète et encore inédite entre Freud et Jung, avec Heidegger comme juge arbitre, et s’endort toutes les nuits en convoquant comme marchand de sables le fantôme de Nietzsche papotant avec celui de Lautréamont.
Les joueurs de poker d’aujourd’hui sont les joueurs d’échecs d’hier. Le cerveau en moins, les lunettes noires en plus. Déjà dit, je sais.
Toute cette frime de pacotille lorsqu’ils découvrent leurs cartes, du bout de leurs doigts, avec la même intensité dans le regard que celui d’un chimpanzé qui croise son reflet dans un miroir déformé.
Le boum du poker et la déferlante médiatique qui en a suivi ne sont évidemment pas étrangers à la création du mythe du joueur de jeu de cartes. Des arrière-salles enfumées, de voyous dégénérés, les afficionados de poker se sont d'un seul coup vus promus au rang d'immenses intellectuels sportifs dont les capacités au raisonnement mathématiques n'ont d'égale que les talents anthropo-sociologiques.
C'est bon pour l'industrie, tout comme c'est bon, de temps en temps, de mettre en lumière un immense chattard remportant quelques millions de dollars américains. Bref, cette définition moderne du cowboy puant prêt à faire parler la poudre a le mérite de, outre celui d’anoblir la caste, d'entraîner d'étranges mutations comportementales dans l'appareil cérébral des professionnels.
Sans revenir sur le fond de l'article de Sagalovitsch, on a découvert que jouer au poker demandait des compétences que seul un être supérieur pouvait maîtriser. Probabilités, statistiques, PNL, psycho-linguistique, comportementalisme (quand ce n'est pas mentalisme), pour ne citer que les plus saillantes, sont devenus des compagnons de route fidèles pour le gambler professionnel. Au moins, il sait comment s'occuper quand il déprime, tout seul à l'aéroport en attendant l'avion.
Sauf que, au poker, il y a la chance. Tous les joueurs vous le diront, la chance influe énormément les résultats d'un joueur à court terme. À long terme, normalement, le talent et l'art du jeu prennent le dessus. Seulement, le hasard est capable de détruire en un clin d'oeil tous les plans alambiqués que seul l'esprit torturé d'un joueur de poker professionnel peut élaborer. Comme ça, pfiut ! Alors de là à se comparer à un joueur d'échecs, il y a un monde.
La vérité, c'est que très peu de joueurs professionnels possèdent des intellects supérieurs à la moyenne (même si certains, à l'image de M. Caro, peuvent être comparés à des chercheurs empiriques; bon, c'est pas pour rien non plus que son surnom est "the mad genius"). Ce serait plutôt le contraire. Par contre, ils ont sûrement du talent, talent que l'on pourrait à la limite qualifier d'artistique, mais sans plus. Ces gens-là montrent aussi des caractéristiques propres à la pratique du jeu; de la même façon que tout le monde ne peut jouer au Barca, tout le monde ne peut pas vivre des cartes. L'adoption de ce style de vie demande des dispositions d'esprit très, très particulières. Et peu communes. Dont certaines sont certes cérébrales, mais qui se situent tout de même bien loin d'un troisième cycle universitaire.
Pour finir, il serait bien mal vu de tenir les joueurs pour seuls responsables de cette image. Si certains d'entre eux entretiennent volontiers le cliché, d'autres n'ont jamais rien demandé à personne et subissent comme tout le monde cette construction culturo-médiatique (c'est pas leur faute, ils lisaient Schopenhauer. Sur leur Ipad, dans les chiottes du Rio.). À ce propos, on n'a jamais vu les vieux de la vieille (Brunson, Chan, Hellmuth et consorts) se réclamer de quoi que ce soit en matière de production intellectuelle. Autres temps, autres moeurs.